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Histoire automobile : La Delahaye qu’Hitler voulait détruire…

La Delahaye «Million Franc» est l’une des histoires les plus fascinantes de l’histoire du Sport Automobile. C’est un récit qui implique une intrigue internationale, une guerre mondiale, des nazis, des records de vitesse, une voiture perdue perdue puis retrouvée, puis une restauration. Une histoire incroyable que l’on va vous conter. Désormais, la  Delahaye «  Milion Franc »  se trouve au sein de l’excellente collection du Mullin Museum aux Etats-Unis, elle roule toujours, et on la voit parfois sur la piste californienne de Laguna Seca.

La main mise de Mercedes et Auto Union

Au sortir de la première guerre mondiale, l’Europe s’engouffre  dans le tumulte des années 30, qui s’achèvera par une guerre totale et atroce. En 1929 en effet, les pays vainqueurs de la première Guerre Mondiale s’enlisent dans une crise venue des Etats-Unis, laissant tout le champ libre aux vaincus pour sortir, à leur manière, la tête de l’eau. En Allemagne, Adolf Hitler nommé chancelier en janvier 1933, prône un nationalisme dur qui passe par l’investissement de l’Etat dans tous les secteurs, civils et militaires. Vitrines  de l’économie industrielle germanique, les constructeurs Mercedes et Auto Union bénéficient d’un soutien total du Reich  qui souhaite, par la même occasion, prouver la  supériorité germanique dans tous les domaines, dont bien sûr, celui de la course automobile. Les résultats sont immédiats : les nouvelles flèches d’argent allemandes remportent toujours plus de victoires. Dans un même temps, les constructeurs français peinent à se maintenir à flot, touchés de plein fouet par le marasme économique issus du krach boursier de Wall Street  en 1929.

La réaction tricolore

C’est dans ce contexte, et suite aux mouvements sociaux de 1936, que le gouvernement français décide de venir en aide aux industries automobiles nationales, afin d’essayer de concurrencer les machines allemandes et italiennes soutenues par leur Etat respectif. En augmentant de 10 francs la taxe que chaque nouveau détenteur du permis de conduire doit s’acquitter, l’Etat accumule un pécule de 400 000 francs (ce qui représente une petite fortune à l’époque). Quelques industriels français s’unissent et font grossir la somme jusqu’à plus d’un million de francs. La cagnotte est confiée à l’Automobile Club de France (autre époque!!).

L’ACF décide d’organiser une course dont les règles sont simples : les participants doivent présenter un modèle conforme à la nouvelle réglementation de la formule « Grand Prix » qui sera en vigueur en 1937, 1938 et 1939. La cylindrée de la voiture ne doit pas dépasser 4,5 litres si elle est équipée d’un moteur atmosphérique ou 3,5 litres si le moteur est suralimenté. Les pilotes devront effectuer 16 tours sur le circuit routier de Montlhéry (soit 200 km), départ arrêté, et dépasser la moyenne record obtenue par Rudolf Caracciola en 1935, à bord d’une Mercedes, sur ce même tracé, soit 146,508 km/h. La date limite pour effectuer la tentative est fixée au 31 août 1937.
Motivées par l’appât du gain, trois marques françaises répondent à l’appel : Talbot-Lago, Bugatti et Delahaye.

Talbot, qui avait abandonné toute activité sportive en 1927, vient tout juste d’être rejoint par l’ingénieur italien Anthony Lago (et qui va transformer l’entreprise) , formant ainsi la firme Talbot-Lago. Sous son impulsion, une nouvelle voiture de Grand Prix est conçue en 1936 : la T150C. Préférant se concentrer sur la préparation du Tourist Trophy à Dunrod qui aura lieu le 4 septembre, la marque se retire finalement du challenge. Un pari gagnant pour Talbot-Lago puisque son tout nouveau modèle de course remportera le Tourist Trophy.

De son côté ,  Bugatti est en plein bouleversement. N’ayant pas pardonné à ses ouvriers grévistes les des conflits sociaux de de 1936, Ettore Bugatti s’est retiré à Paris et fait vivre la société qu’il a créée en vendant des autorails(à moteur de Bugatti Royale et qui sauveront l’entreprise) à la SNCF nouvellement créée, loin de ses bolides de course dont il a confié la gestion à son fils Jean. Depuis 1935, Bugatti ne remporte plus de compétitions face aux flèches d’argent faute de moyens suffisants. Cette course au million, organisée par l’ACF, est une aubaine pour redorer le blason de la firme à l’ovale rouge, écrasée par la puissance financère d’Auto-Union et Mercedes sur le tout jeune Championnat d’Europe des Marques. Pour cela, il dispose de son modèle phare du moment, la Type 59, et de son pilote star : Jean-Pierre Wimille. La Type 59 dispose de l’ultime évolution du moteur suralimenté de la Type 57, réalésé à 72mm, portant ainsi la cylindrée à 3257cc qui développe une puissance de 250ch.

Reste Delahaye,  dont les activités sportives sont, en grande partie, soutenues par une riche héritière : Lucy Schell. Fille d’un milliardaire américain d’origine irlandaise, elle fonde avec son mari, Laury Schell, l’Ecurie Bleue. Le couple vit en France et participe avec succès, ensembles ou séparément, à un grand nombre de compétitions automobiles. Grâce aux relations étroites qu’entretiennent les Schell avec Delahaye, leur écurie se compose principalement de modèles spéciaux, conçus selon leurs exigences. C’est ainsi que Lucy  parvient notamment à pousser Delahaye à concevoir la 135 Competition Special, en assurant la vente d’une quinzaine de modèles.

En février 1937, grâce aux aides financières de Lucy Schell, les dirigeants de Delahaye demandent à l’ingénieur Jean François de mettre au point un tout nouveau moteur. Rapidement, il leur propose un étrange V12 atmosphérique dont l’architecture atypique se compose de 3 arbres à cames :  un au centre du V pour l’ensemble des soupapes d’admission et 2 latéraux, chacun gérant 6 soupapes d’échappement. Il développe une puissance de 240ch. Le bloc est en magnesium, la culasse en aluminium. C’est une réalisation très ambitieuse pour l’époque. L’engin est placé sur un châssis de Delahaye 135 CS et recouvert d’une carrosserie sommaire constituée de feuilles d’aluminium. Ainsi est née la Delahaye 145. En voyant le bolide pour la première fois, René Dreyfus, le meilleur pilote de l’Ecurie Bleue s’exclame : « c’est la voiture la plus moche que j’ai jamais vue »… Moche sans doute, mais diablement efficace, comme il pourra le constater ultérieurement.

Le premier acte de la course au million se déroule le 23 août 1937. Jean-Pierre Wimille s’élance sur le circuit de Linas-Montlhéry au volant de sa Type 59. Une fois les 200 kilomètres accomplis, les chronos sont formels, l’exploit n’a pas été réalisé. Mais Wimille et Bugatti n’ont pas dit leur dernier mot.

Le 27 aout 1937, c’est un René Dreyfus très tendu, qui prend place dans la Delahaye 145, chaussée de pneus spéciaux venus tout droit de l’usine Dunlop et dont les phares, la peinture et divers autres éléments ont été retirés afin de l’alléger. Il se positionne sur la ligne de départ. A 10h, il s’élance. Dreyfus est concentré. Il donne tout ce qu’il peut, le long des 12,5 kilomètres que comptent le circuit routier de Montlhéry, 16 fois de suite, jusqu’à la ligne droite finale. Les chronos tombent, explosion de joie : le record est battu avec une moyenne incroyable de 146,6 km/h. Mais rapidement, la liesse devient plus contenue. Il reste encore 4 jours à Bugatti pour retenter l’exploit.

Le 31 août, dernier jour avant l’expiration du concours de vitesse, Jean-Pierre Wimille arrive à Montlhéry avec son arme secrète : une Type 59/50B, qui est, en fait, une Type 59 équipée d’un moteur 4,5 litres atmosphérique de Bugatti T50B. Après de longues heures de mise au point, la voiture semble prête. Wimille s’aligne au départ. A côté de lui, Dreyfus et sa Delahaye 145 sont là aussi, bien décidés à ne pas laisser le bolide de Molsheim leur ravir le million tant convoité.
Les deux voitures concurrentes s’élancent, pendant plusieurs tours, les pilotes se livrent une lutte sans merci. Soudain, le moteur de la Bugatti lâche, à cause d’un segment de piston cassé, laissant René Dreyfus s’envoler vers la victoire (certaines sources disent même qu’il battra son record précédent de quelques centièmes).

Victoire bleu-blanc-rouge, au grand damne du führer…

La victoire revient à Delahaye. Le prix d’un million de francs est divisé en deux : une moitié pour Delahaye, l’autre pour l’Ecurie Bleue. Dreyfus, quant à lui, récupère à son tour la moitié de la somme reçue par l’Ecurie de Lucy Schell.
Du côté de Bugatti, le coup est rude: par fierté, mais aussi dans un but commercial, Jean Bugatti exige qu’une dernière tentative ait lieu, pour la gloire puisque le challenge est terminé, juste avant le salon de Paris qui doit se tenir en Octobre 1937. Mais la Type 59 rencontre de nouveaux problèmes. L’incompréhension laisse place à la colère du patron. L’ingénieur Jean Viel, accusé de d’en porter la responsabilité, est contraint de démissionner.

La presse fait étalage du record et la victoire retentissante de Delahaye arrive aux oreilles d’Hitler : cette défaite est d’autant plus dure à avaler que le pilote de la Delahaye est juive…

Mais l’histoire de cette Delahaye 145 ne s’arrête pas là. Lucy Schell lui offre la livrée bleue de son équipe. Elle ajoute une longue ligne rouge et blanche qui s’étire en V du cockpit à la calandre, qui deviendra le détail reconnaissable des Delahaye de course. Désormais, toutes ses voitures arboreront cette ligne, en commémoration de la victoire lors de la course au million. La 145 victorieuse part pour l’Italie où elle participe aux Mille Miglia. Lucy Schell fait construire 3 autres Delahaye 145 et les 4 bolides remportent quelques victoires supplémentaires jusqu’en 1939. Ainsi, en avril 1938, une des 4 Delahaye 145 de l’Ecurie Bleue, pilotée par René Dreyfus, s’aligne en pôle position, à côté de la Mercedes de Rudolf Caracciola au départ du Grand Prix de Pau. Dreyfus parvient finalement à remporter la course devant les bolides allemands. Dans ses mémoires, René Dreyfus raconte qu’il n’avait jamais entendu une Marseillaise jouée avec autant d’enthousiasme alors qu’il gravissait la première marche du podium. Il semblerait bien que la petite marque française ait réussi à mettre un terme à la suprématie germanique dans le sport automobile. Le 1er septembre l’Allemagne envahit la Pologne, qui déclenche la seconde guerre mondiale. Le 10 Mai 1940 la France est envahie, rien n’arrêtera « le blitzkrieg » nazi sur son passage.

Lucy Schell entend dire que les troupes allemandes ont pour ordre, de retrouver la Delahaye de la course au million et de la détruire. Elle envoie René Dreyfus participer à une course aux USA, à Indianapolis, pour le mettre à l’abri. Il y restera toute sa vie. Les quatre Delahaye sont démontées, les moteurs cachés, les carrosseries désolidarisées des châssis. Le tout est ensuite dispersé au fond des caves du nord de la France, en attendant, tout le monde l’espère, la fin du conflit et une victoire des Alliés.

Bien plus tard, en 1960, le collectionneur français Serge Pozzoli,  fait, par hasard, l’acquisition  d’un châssis de Delahaye 145. Il découvre ensuite, sous une vitrine dans le hall d’une école de commerce, le moteur qui correspond à ce châssis. Pendant près de 20 ans, il part en quête des pièces de cette voiture, conservant son butin dans un garage près du circuit de Montlhéry, jusqu’en 1987, où un collectionneur américain, Peter Mullin, apprend que la Delahaye de Pozzoli est à vendre. Il débourse 150 000$ pour en faire l’acquisition. Ce qui, aux dires de l’intéressé, représente une sacré somme pour une voiture qui ne roule pas et n’est même pas complète. Il entame alors une restauration de trois ans, comprenant la reconstruction de la voiture et la rénovation du bloc moteur en magnesium. Il fait appel à un expert français du nom de Richard Adatto. Ce dernier trouve les documents d’époque des commissaires de la course au million qui attesteraient que le numéro de châssis, en l’occurrence 48771, serait bien celui qui a participé au challenge  de l’ACF d’août 1937.

C’est à cette époque qu’on commence à entendre parler d’une autre Delahaye 145 qui, elle aussi, prétendrait être celle qui a gagné le million de francs. Elle est en possession d’un éminent collectionneur du nom de Sam Mann. Quelques années auparavant, Mann a fait l’acquisition d’une superbe Delahaye 145 carrossée en cabriolet par Franay. Il a demandé l’aide d’André Vaucourt, expert français reconnu, qui, après étude des numéros de châssis et de moteur, lui aurait dit qu’il peut s’agir de « la » Delahaye « Million Franc ». Elle aurait été rachetée par un collectionneur après la guerre qui l’aurait confiée au carrossier Franay afin d’en faire un beau cabriolet. Sous cette forme, la voiture remporte un prix lors du concours d’élégance de Pebble Beach en 2015.

Gagnante identifiée…mais sans certitude.

Alors qui a raison? Comme souvent dans ce cas de figure, on ne sait pas et on ne saura peut-être jamais. Les voitures ayant été démontées et les pièces mélangées, les numéros de série (qui ont pu être re-frappés au gré des histoires propres de chacun des véhicules) ne peuvent être des preuves irréfutables. Plusieurs experts ont scruté les deux voitures et ont émis des avis concordants, jugeant la Delahaye de Peter Mullin comme étant probablement celle qui a gagné le concours de l’ACF  en 1937, sans certitude pour autant. Ils s’expriment sous couvert d’anonymat, étant en relation avec les deux collectionneurs.

Le Sport Automobile a encore de ses mystères qu’il est encore difficile de percer..




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